Depuis début
octobre, Bruno Marmiroli est le nouveau directeur de la Mission Val de Loire,
succèdant ainsi à Isabelle Longuet, partie à la retraite. Il nous présente en
quelques mots les grands enjeux à venir pour le paysage culturel du Val de
Loire et pour la Mission.
Créée
en 2002, la Mission Val de Loire est un syndicat mixte interrégional porté par
les Régions Centre-Val de Loire et Pays de la Loire. Elle joue un rôle de
coordination pour l’État, les collectivités et tous les acteurs du site Unesco.
A l’aube des 20 ans de l’inscription du Val de Loire sur la Liste du patrimoine
mondial, Bruno Marmiroli nous explique les grands enjeux à venir.
« il
faudra continuer à inscrire le patrimoine dans la fabrique du territoire,
à tous les niveaux »
« Le
premier, c’est peut-être de porter un regard sur ce qui s’est passé depuis
20 ans. Un travail colossal a été réalisé pour diffuser la connaissance liée à
l’inscription, pour améliorer la prise en compte du patrimoine dans toutes les
politiques publiques. Cet anniversaire sera donc l’occasion de faire un
bilan. Ce sera également l’occasion de se projeter dans 20 ans, en 2040.
Lors de ces 20 prochaines années, certains enjeux seront toujours d’actualité :
il faudra continuer à inscrire le patrimoine dans la fabrique du
territoire, à tous les niveaux : collectivités, métropoles ou territoires
ruraux. Mais d’autres enjeux, plus sociétaux, émergent, comme la prise en
compte de la dimension patrimoniale et de la connaissance des valeurs de
l’inscription par les habitants du Val de Loire. C’est un dispositif qui
s’inscrit dans le champ des démocraties participatives et des systèmes
collaboratifs.
« On ne
peut pas évoquer les grands enjeux à venir sans parler du changement
climatique »
La
Mission Val de Loire s’y est engagée depuis quelques années et il faut poursuivre
cet effort avec tous les usagers du périmètre inscrit au patrimoine
mondial. Enfin, on ne peut pas évoquer les grands enjeux à venir sans
parler du changement climatique et de son incidence sur le Val de Loire. »
En
effet, depuis quelques décennies, le dérèglement climatique est l’une des
grandes inquiétudes des sociétés humaines. Il nous précise comment ce dernier
pourrait impacter un paysage culturel comme celui du Val de Loire. « Le
paysage culturel est une construction équilibrée et harmonieuse qui témoigne du
lien entre des enjeux humains et un milieu naturel. C’est un long processus
dont la sédimentation garantissait la stabilité du socle. Depuis quelques
décennies, l’évolution lente des paysages est en train de subir une
accélération brutale. C’est ce qu’il nous faut essayer de comprendre,
d’anticiper et d’accompagner. Le changement climatique est déjà à l’œuvre
sur le territoire ligérien : les niveaux d’étiages varient, les
changements de températures ont une incidence sur la végétation, les périodes
de sécheresse perdurent, les écosystèmes s’adaptent et les paysages agricoles
évoluent… Tous ces facteurs vont modeler, probablement assez rapidement, de
nouveaux paysages culturels.
C’est tout
un pan de la culture ligérienne qui est potentiellement menacée ou condamnée à
évoluer
Les
enjeux sur le patrimoine bâti existent également. Souvenons-nous de ce qui
s’est passé en 2016, quand le Cosson, en crue, a partiellement inondé les
abords de Chambord de façon relativement conséquente ! Nous pouvons imaginer
d’autres exemples de cette nature, comme la baisse du niveau d’eau dans le Cher
sous le château de Chenonceau… Ou bien la Loire qui, en période de fort étiage,
serait traversable à pied et qu’on ne puisse plus du tout naviguer… C’est donc
tout un pan de cette culture ligérienne qui fonde la notion même de paysage
culturel qui est potentiellement menacée, ou qui est condamnée à évoluer. Une
évolution qu’il faut accompagner avec la volonté de conserver le mieux possible
le patrimoine et le paysage du Val de Loire. Ces évènements ont aussi
une incidence sur la façon dont les habitants vivent le territoire. Les usages
ne sont déjà plus les mêmes, en particulier une vision plus récréative des
bords de Loire qui va tendre à augmenter, à attirer de nouvelles
populations. Il s’agit d’un phénomène qui était bien moins marqué dans les
années 80. Nous voyons bien, à travers ces quelques exemples, qu’un nouveau
rapport à la nature, même domestiquée, se dessine et change les comportements
et les usages mais aussi les représentations. »
« Le
regard et l’attitude des habitants vis-à-vis de leur patrimoine changent
progressivement »
Face
à ces enjeux territoriaux, Bruno Marmiroli place l’action de la Mission Val de
Loire dans un rôle d’anticipation, de compréhension et d’accompagnement des
acteurs concernés. Mais son « rôle est aussi d’être un lien entre la
recherche ou les grandes stratégies de politique publique et l’habitant. Il
s’agit d’un rôle important lié à la diffusion de la connaissance,
l’appropriation des valeurs liée à l’inscription du Val de Loire au patrimoine
mondial. C’est un travail quotidien qu’il faut conduire et reconduire pour que
chaque acteur potentiel soit en mesure de s’inscrire dans ce système de valeurs
universelles. Mais ce corpus de valeurs tend à se modifier en fonction des
contextes et changements que nous avons évoqués. En 2000, nous ne regardions
pas la fabrique du territoire avec les mêmes lunettes. 20 ans plus tard, la
ville a évolué, les grands projets ont évolué, les structures agricoles
également… Et la façon d’approcher la question patrimoniale a également changé.
Le regard et l’attitude des habitants vis-à-vis de leur patrimoine changent
progressivement. La Mission Val de Loire peut et doit accompagner, dans
les années à venir, ces envies de patrimoine qui évoluent. »
« Je
crois que tout le monde est maintenant conscient de la nécessité de ménager le
territoire ligérien »
Et,
finalement, concernant le Val de Loire, et son avenir, vaut-il mieux le ménager
ou l’aménager… « S’il y a eu des
périodes de fort aménagement, l’époque actuelle est plutôt au
ménagement. Les aménagements du Val de Loire entre 1960 et les années 2000
ont accéléré le processus d’anthropisation à l’œuvre depuis des siècles,
notamment aux abords des agglomérations ou des métropoles. Mais je crois
que tout le monde est maintenant conscient de la nécessité de ménager le
territoire ligérien. C’est un espace fragile, partagé par différentes
populations qui en ont des usages variés, mais aussi par la nature, fluctuante,
qui s’y installe. Il faut donc le ménager et que chacun y trouve sa
place. Peut-être faudrait-il même envisager des formes d’a-ménagement,
c’est-à-dire de décomposition, de désinstallation. Ce serait une démarche intéressante
de se demander ce que l’on peut enlever du sur-aménagement qu’on a eu tendance
à faire… »
Article du 25 octobre 2018 I Catégorie : Vie de la cité